Scheider: Pourriez-vous nous présenter le village qui a fait étape à Saint-Malo, berceau du projet Energy Observer et point de départ de la Route du Rhum, mais également la mission du projet Energy Observer ?
Viviès: Pour sa 74e escale, Energy Observer a jeté l’ancre en Malaisie. Au même moment, notre exposition pédagogique s’est déployée à Saint-Malo, là où est né le projet, au sein du village de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe. Il y a là une dimension symbolique forte et nous sommes heureux d’avoir reçu plus de 50 000 visiteurs -dont 1 100 scolaires- durant les quelques semaines qui ont précédé le lancement de la course.
L’ambition première pour ce type d’événements est naturellement pédagogique. Il s’agit, par exemple, de mettre l’accent sur l’impact environnemental du transport maritime, c’est-à-dire de poser un constat. À partir de là, on peut évoquer la transition énergétique, la présenter en nécessité et l’illustrer par cette aventure que mène notre bateau. Tout doit être concret. Nous privilégions la démarche scientifique de démonstration plutôt que la seule attitude culpabilisatrice d’où rien de bon ne naît finalement. Toute l’exposition, ainsi que la Grande roue panoramique, est alimentée grâce au groupe électro-hydrogène GEH2® de notre filiale industrielle EODev (Energy Observer Developments). C’est ainsi une solution d'énergie zéro émission directe qui fait ses preuves, et tout son potentiel sur des applications évènementielles est factuellement constatable.
En pratique, l’exposition dédiée à Energy Observer, aux énergies durables et à l’hydrogène s’étend sur 210 m². On y trouve deux dômes géodésiques, reliés par un tunnel-conteneur où les visiteurs découvrent une frise chronologique qui retrace à la fois l’histoire de la transition énergétique et celle de la prise de conscience écologique. On y rencontre aussi le laboratoire Energy Observer auquel l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) a d’ailleurs apporté son expertise et son soutien.
Les dômes abritent des expositions immersives et didactiques que nous avons voulues spectaculaires. Projections monumentales, écrans où apparaissent les technologies embarquées du navire laboratoire : le public se trouve en situation de comprendre véritablement ce qu’apporte l’hydrogène, en mer et sur terre, mais également les solutions rencontrées autour du monde par le prisme des 17 Objectifs de développement durable dont Energy Observer est le premier ambassadeur français.
Scheider: Quel rôle peut jouer l’hydrogène dans la transition énergétique, notamment pour l’industrie ?
Viviès: Les propriétés chimiques de l’hydrogène en font un gaz sur lequel repose bonne part de l’avenir énergétique. L’hydrogène est l’élément chimique le plus abondant dans l’univers. Léger, sa densité énergétique est trois fois supérieure à celle des combustibles fossiles. Par ailleurs, il permet de stocker le surplus d’énergie. Il a clairement vocation à accélérer la décarbonation. Lorsqu’il est obtenu de manière renouvelable, aucune émission de CO2 ni de particules fines ne sont à déplorer, ni dans sa production ni dans ses usages : il est décarboné ! Energy Observer, qui produit son hydrogène à partir de l’eau de mer, en fait chaque jour la démonstration.
Si l’on veut tenir les objectifs fixés dans le développement des énergies renouvelables, dans la réduction de consommation des énergies fossiles ou celle d’émission des gaz à effet de serre (GES), l’hydrogène se présente en recours privilégié. En recours évident. Mais, actuellement, 96% de l’hydrogène produit dans le monde l’est à partir d’énergies fossiles. Il faut donc de parvenir à produire de l’hydrogène bas carbone à grande échelle afin de décarboner l’industrie, mais aussi les transports. Je songe en particulier aux « mobilités lourdes » (les camions de transport de marchandises, par exemple, ou le transport maritime en haute mer), dont on connaît aussi le poids en matière environnementale.
Pour répondre précisément à votre question, l’industrie peut tendre vers sa décarbonation dans tous les secteurs qui adoptent l’hydrogène pour leurs procédés industriels. La France y vise d’ailleurs la neutralité carbone en 2050.
Nous relevons le défi !
Scheider: Pourriez-vous détailler la forme concrète de votre engagement en faveur de l’économie hydrogène ?
Viviès: A la manière dont Ulysse revint à Ithaque, Energy Observer poursuit un long périple qui s’achèvera, en 2024, avec le retour du navire en France durant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Cependant, l’aventure a déjà permis d’œuvrer de façon conséquente pour promouvoir des technologies hydrogène.
En 2019, la création d’Energy Observer Developments (EODev) s’est donnée pour objectif de développer et d’industrialiser des solutions énergétiques durables, fiables et accessibles qui utilisent l'hydrogène. Parmi les innovations d’EODev, je peux citer le GEH2®, un groupe électro-hydrogène qui pourra remplacer les dizaines de millions de générateurs diesel actuellement en circulation dans le monde. Voilà pour notre engagement terrestre.
Mais il prend une seconde forme. Le particulier doit saisir combien son mode de vie repose sur le transport maritime. Le commerce mondial en dépend. À l’image des vêtements, qui sont le plus souvent fabriqués en Asie, les carburants, les pièces détachés, la nourriture, etc., transitent sur les mers. On compte près de 100 000 navires de commerce soit, à vide, plus de 2 milliards de tonnes à déplacer. C’est considérable. Songez à ces monstres marins, ces pétroliers, longs de 450 mètres ! Le trafic maritime représente à lui seul 3 % des émissions de GES dans le monde. C’est dans ce contexte qu’en février 2022, lors du One Ocean Summit de Brest, nous avons annoncé le projet Energy Observer 2. C’est un cargo polyvalent d’environ 150 mètres qui utilisera uniquement l’hydrogène liquide pour sa propulsion. Aucune émission directe n’en résultera. On peut, sans détours, affirmer qu’il y a là une avancée majeure dans la décarbonation du transport maritime. Sa mise à l’eau est prévue pour 2026. Notez aussi que le potentiel est immense, car le principe est applicable à d’autres secteurs : transport fluvial, sports mécaniques, etc. Je pense que vous imaginerez sans mal notre impatience…
Scheider: Dans quelle mesure les partenariats noués avec des acteurs tels que Rockwell soutiennent vos ambitions pour la planète ?
Viviès: Energy Observer dispose en effet d’un écosystème de partenaires riche et très diversifié. Ce sont des appuis précieux qui ont permis au projet de se développer de manière exponentielle ces dernières années, tant sur l’aspect technologique qu’en termes d’impacts à travers le monde.
Rockwell Automation, par exemple, parce qu’il est le fournisseur technologique officiel d'Energy Observer depuis 2017, joue un rôle crucial à nos côtés. Ses solutions matérielles, logicielles et d'information sont décisives pour la maintenance et la gestion de l'infrastructure énergétique du navire. Concrètement, non seulement Rockwell Automation nous permet de contrôler la production, le stockage et les dépenses d'énergie, mais il nous fournit également les données opérationnelles essentielles qui permettent à l'équipage d'accéder aux informations vitales en temps réel. Son accompagnement technique est capital.
Très clairement, nous partageons des espoirs pour l’avenir.